Maïeutrek”: féminité au toit du Monde

Un projet dans l’esprit Aamako Maya de Manoj

Un retour de l’Automne 2024

Depuis le petit hublot de l’avion, des pics discrets des géants rocheux nous saluent; leur pointes blanches enneigées se confondent avec les nuages qui forment une mer de cotons doux. En descendant, les rayons du soleil se faufilent en faisceau pour baigner de lumière la vallée où la ville de Kathmandu s’étend à perte de vue. Bâtiments vieux et nouveaux se mélangent aux temples et leur statues dorées, les stupas, les monastères austères sur les flancs des montagnes, entourant la ville, si vaste qu’il en est difficile de comprendre les délimitations. Tout se fond dans une épaisse végétation verte émeraude qui brille sous les rayons de soleil…

Le cœur est déjà serré, au fur et à mesure que l’avion descend pour se poser sur la petite piste de l’aéroport International. Suite à l’atterrissage, encore sur le tarmac, l’air chaud et humide nous surprend.

Nous fonçons, après quelques démarches administratives, ça y est, nous quittons le territoire international pour poser nos pieds officiellement sur le sol Népalais. Le rythme bruyant et bourdonnant de l’énorme capital nous avale rapidement. Nous nous sentons tellement petits… Les gens circulent dans tous les sens comme des abeilles en plein vol tourbillonnant. Les petites voitures se mélangent entre les fragiles vélos, les motos et les grands camions, pour nous amener depuis les grandes artères qui irriguent cette ville vers les toutes petites telles des capillaires qui amènent vers les quartiers les plus typiques de Kathmandu.

La nuit tombe en arrivant à notre petit hôtel, Little Inn Népal; et avec elle, la pluie arrive; c’est un bon présage pour les Népalais, c’est Lord Indra, Dieu de la pluie et Roi du Paradis qui nous accueille ce soir, en avance des festivités Indra Yatra. Puisse t-on penser à posteriori que c’est probablement lui qui nous accompagnera dans notre errance dans ce pays tout le long de nos trajets, pour nous amener de retour à bon port à chaque pas.

Surya, le propriétaire de Little Inn Népal nous accueille avec toute la sagesse, la chaleur et la bienveillance qui seront des facteurs communs à tous et chacun des personnes que nous avons croisées dans notre mission. Une forte amitié est sur le point de naître.

Un thé chaud et quelques petites friandises nous réchauffent le corps pendant que nous discutons sur le trekking avec Dhan, le directeur de Mutu Foundation. Les odeurs des épices mélangées avec l’encens et la pluie qui continue à tomber dehors nous mettent dans l’ambiance.

Le deuxième jour après notre atterrissage, nous prenons le bus. Six heures de trajet pour nous amener à la région de Lamjung, et à notre première destination: le dispensaire de Garkhu. Nos accompagnatrices : Shakila, notre coordinatrice de projet Mutu Foundation-Manoj, Samjhana, notre guide et Arjun notre porteur. Nous les avons connus la veille, et en à peine quelques minutes de trajet, nous sommes déjà en train de bien rigoler et de partager la joie contagieuse de ce peuple unique. Pour elles, c’est aussi la première expérience sur le terrain, autant que pour nous. (Pas pour Arjun, 40 ans et il marche très vite, trop vite) Elles ne se connaissaient pas jusqu’à avant hier. Et pourtant, nous sommes tous les 5 là, comme une famille. Quelque chose est né.

La mixité, le respect, la sagesse, le partage, nous sommes à peine en train de comprendre ces valeurs, dont nous serons bien imbibés après ces 15 jours qui nous attendent.

Revenons sur le voyage. Tout est prêt pour nous dépayser, dans une ambiance complètement différente de ce que nous avons pu connaître jusqu’à maintenant: les bus, les routes, les bénédictions de toutes les voitures, les paysages, les musiques, les “arrêts” de bus pour récupérer des passagers au milieu de la route, tout ! C’est unique, car on ne vivra plus jamais tout ça “une première fois”… Nos cœurs sont serrés par toutes les émotions possibles: la surprise, l’appréhension, la joie…

Les six à sept heures de trajet sont un voyage symbolique, un chemin qui permet à nos corps et nos âmes de se fondre dans ce décor, dans cette culture, dans ces paysages. Aussitôt nous quittons la ville, aussitôt, nous changeons de panorama, comme le jour et la nuit. Le rythme s’apaise d’un coup, tout semble avancer au rythme de la nature. Mais sans s’en rendre compte, tout se fait fluidement et nous ne nous rendons compte qu’après être arrivés au premier village.

Les sage-femmes de Garkhu nous attendent: Il y a un accouchement” nous transmet Shakila. Nous sommes complètement déconcertés: “Vous voulez le faire?”  Rapidement, nous nous remettons à notre place : on vient pour échanger, pour comprendre. Nous voulons participer avec les professionnels sur place, mais nous ne souhaitons pas prendre leur place. Les sages-femmes sont contentes de notre présence. Toutefois, la patiente est en travail depuis bien hier soir et la famille commence à s’inquiéter car les accouchements précédents n’ont pas été aussi longs.

Plusieurs questions se posent sur le coup : pas de monitoring de surveillance, mais un coup de Sonicaid de temps en temps. Pas de système d’anesthésie sur place. Une table de réanimation qui ne fonctionne pas complètement, ni de table de chauffage pour la naissance de bébé. Multiparité, travail long… Heureusement, pas d’antécédent connu de pathologie, dystocie ni d’hémorragie de la délivrance, mais plus le travail sera long, plus les risques augmenteront, d’autant plus que la hauteur utérine (la mesure du ventre) est assez importante, insinuant un gabarit important du bébé. Pourtant, les sage-femmes discutent avec la famille, elles sont confiantes que tout va bien se passer, il n’y a pas besoin de s’inquiéter de leur jugement. Il n’y a pas besoin d’aller dans un autre centre de santé plus équipé.

Nous nous regardons avec Esteban : est-ce que nous aurions eu le même jugement ? Nous sommes directement confrontés depuis cette première minute, à toutes les différences de notre métier tel que nous le connaissons et tel qu’il est pratiqué ici. Également, aussi différent de ce qui est pratiqué dans les grands centres de maternité à Kathmandu; la différence des pratiques dans un seul et unique pays semble impossible à y croire.

La naissance n’aura lieu que pendant la nuit vers le coup de 22h. Un “petit” garçon de 4 kg est né ! Ce sera notre premier et dernier accouchement de toute notre traversée, mais nous le prenons encore comme un bon présage. Nous offrons une peluche au bébé. La maman dort paisiblement depuis l’accouchement. Elle s’est réveillée quelques fois pour donner le sein puis elle s’est rendormie ; une assistante en soins et une accompagnatrice qui reste 24h/24 avec la maman sont présentes. Elles s’occupent du bébé pour permettre à la maman d’avoir le repos dont elle a besoin. Pas de discussion sur le mode d’allaitement, le sein, une évidence pour elles, pas d’autres alternatives. C’est aussi évident que la maman doit dormir après tout cet effort fourni et que c’est l’accompagnatrice qui va s’occuper de tout pour le bien être du bébé et de la mère. Pas de traces du père, à aucun moment. Pas de prénom pour ce petit bonhomme, non plus: c’est trop tôt. Les sages-femmes du dispensaire tiennent le registre; ils inscrivent son sexe, sa date de naissance et son heure, son poids et ses mensurations. Le prénom sera donné au bout d’un mois voire plus après la naissance : cela leur semble logique de penser au fait que le bébé peut ne pas survivre ou avoir une maladie grave dans les semaines qui arrivent. Pour eux, encore une fois, c’est évident; pour nous, c’est une réflexion à acquérir…

Tout s’est passé naturellement et sans complications comme l’équipe de sages-femmes le prévoyait.

Le lendemain de la naissance se passe paisiblement entre consultations et échographies, on commence le gros de notre travail sur place. L’état de lieu sur les matériaux du dispensaire avec les professionnels, les manques, les besoins… Dans l’après-midi, après un bon repas bien mérité, nous partons pour notre prochaine destination. Il n’y a que 2 heures de marche”. Nous commençons notre trekking plein d’énergies, entre rires. Émerveillés par la beauté du paysage. Il y a tellement de choses à vivre, à ressentir. Nos sens sont hyper-stimulés.

On descend la montagne pour traverser une petite rivière. Esteban teste ces bottes “water-proof” car il ne souhaite pas les déchausser comme nous tous. “Mais elles sont water-proof! Vous verrez!” Nous le regardons tous avec des gros yeux… Mais bon, il semble aussi confiant que les sage-femmes de la veille. Pourtant, le pari est moins réussi que pour l’accouchement: elles ne sont pas submersibles. Nous rigolons tous bien. Et nous commençons l’ascension de la nouvelle montagne, par les rizières.

Il n’y a pas assez de temps pour prendre des photos de toute la beauté de ce spectacle mais on aurait pu faire un reportage rien que sur cette ascension. Il n’y a que 2 heures de marche”…Ces mots résonnent encore dans ma tête. Ainsi que les réponses de locaux à chaque fois qu’on passait par un petit village: “Combien il reste pour arriver à Gohore?” Juste 30 minutes, approximativement” Après 4 heures de marche et 3 fois: “Juste 30 minutes, approximativement”, nous nous rendons à l’évidence : “ce n’était pas que 2 heures de marche”.

Une toute gentille mamie qui habite dans le premier sommet de la montagne avec ces chèvres nous offre des indications pour suivre notre chemin et nous gâte avec plein des bons fruits de ces arbres. Elle habite plutôt isolée, entre le ciel et la terre, à la hauteur d’une vue imprenable sur le Manaslu, un des pics les plus importants de l’Himalaya. Après 10 minutes de pause, nous reprenons le trajet.

Nous arrivons sous la lumière reflétée de la lune à la maison du responsable du dispensaire de Gohore qui nous accueille avec du Dhal-bat chaud et un bon verre de lait de buffala. Il est ravi de faire connaissance. Son dispensaire manque de beaucoup de choses. Il est très isolé et les patientes ne viennent que pour consulter. Il n’y a pas d’accouchement chez eux : en même temps, cela nous semble logique vu la difficulté du terrain, car pour atteindre le dispensaire nous devons encore voyager (par Jeep) 30 minutes le lendemain matin.

Nous échangeons avec les professionnels sur place. Un nouveau bâtiment est en cours de construction à côté du vieux, mais les délais d’ouverture et mise en service se rallongent. Les professionnels sont dans l’expectative, mais avec peu d’espoir. Ils nous racontent sans forcément trop se plaindre. Les choses sont comme ça au Népal. Cette circonstance sera un facteur commun à plusieurs établissements.

Nous n’avons fait, à ce point, que 2 dispensaires avec Esteban. Nous sommes surpris de la résilience et du courage infini des patientes qui viennent en consultation et faire leurs échographies, malgré les longs chemins à parcourir. Elles arrivent en sueur. Certaines font une trotte de 1h30 à pied. Quelques fois elles arrivent avec leur bébé de 3 ou 4 ans sur le dos. En sueur, avec un grand sourire car elles sont très contentes de pouvoir consulter.

C’est pas un pays pour les humains” j’exhorte à un moment donné pendant notre interminable ascension la veille. Shakila et Samjhana, aussi fatiguées que moi, rigolent. C’est une phrase qui résonne dans mon cœur tout le long de notre trekking médical. C’est un pays des dieux, c’est ma pensée, que je n’exprime pas. Depuis tous les points de vue possibles. La vie y a lieu dans ces contraintes car la confiance et la croyance en quelque chose y est dans les cœurs de tous ces gens. Eux, y croient. Ils ont foi, que ce qui doit arriver, arrivera, que ce qui est, doit être. Que la vie et la mort sont unies. C’est indivisible. Que le respect et l’entraide sont la base de la société.

Nous ferons, par la suite, la rencontre de Mina puis Pabitra, deux sages-femmes référentes de deux districts différents, réalisant un travail titanesque de suivi échographique à travers les montagnes et d’accouchements en dispensaires. Grâce à leur collaboration et motivation nous avons pu échanger sur nos pratiques respectives, mieux cibler leurs besoins et seront nos catalyseurs pour la suite du projet Maïeutrek ! Deux nouvelles amies avec lesquelles nous avons partagé les chemins tumultueux népalais en ambulance et Jeep, dans lesquels nous avons protégé le fragile matériel d’échographie des parois du véhicule en échange de quelques contusions et ecchymoses.

Au final, nous avons pu visiter 11 centres de soins, réaliser une centaine de consultations et à peu près une centaine d’échographies, découvrir une nouvelle culture, de nouveaux amis, manger de nouveaux plats et Samjhana nous a même gentiment appris à faire des “momos” !

Nous revenons avec le cœur bien rempli. Plein de questionnements. Beaucoup de travail. Des amis que nous avons fait pour la vie. L’envie de repartir en 2025, en espérant que l’attente ne soit pas trop longue…

Maieutrek: la féminité au toit du monde” a pour but de pérenniser des lignes directrices afin de faciliter la collaboration d’autres groupes des sage-femmes avec Manoj dans l’esprit Aamako Maya.

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