Dans le 3e numéro de la Gazette Manoj, vous avez pu découvrir l’article « Dhan, au cœur de Manoj ». Il s’agit d’un entretien réalisé avec Dhan Bahadur Gurung, le coordinateur principal de l’Association Manoj au Népal. Il nous raconte avec humilité son parcours de vie et son engagement auprès de l’association.  Voir l’article.

L’entretien a été retravaillé en version courte pour des raisons d’édition de la Gazette. Mais nous tenions à publier sur le site la version longue.

Merci à Dhan d’avoir pris le temps de répondre à ces questions.

 

1. Peux-tu nous parler de toi, nous aimerions en savoir plus sur ton parcours de vie.

Je suis né dans une famille de classe moyenne en 1970 dans la région occidentale de Simjung, dans le district de Gorkha. J’ai grandi dans une région de montagne, j’ai vécu une situation vraiment difficile en étant enfant. Il n’y avait pas de structures de santé mais il y avait une école publique pour étudier jusqu’à la classe 5 [fin de l’école primaire]. Mon père était dans l’armée de Gurkha et, après sa retraite, il a continué de travailler dans l’agriculture. Nous étions deux sœurs et deux frères, nous sommes restés avec nos parents et les avons quitté après nos 25 ans.

J’ai essayé de rejoindre l’armée lorsque j’étais jeune pour avoir une bonne situation et pouvoir fonder une famille. Les personnes qui travaillent dans l’armée ont encore une bonne réputation aujourd’hui. Mais malheureusement, même si j’ai passé des exercices difficiles, des tests physiques, des tests médicaux et un examen écrit, je n’ai pas été sélectionné. Je me suis senti tellement triste que j’ai décidé d’arrêter de vouloir entrer dans l’armée et j’ai continué mes études.

Après avoir obtenu mon high school degree [équivalent du baccalauréat], j’ai décidé d’ouvrir une école primaire car il n’y avait pas d’écoles près de mon village et c’était dur pour les enfants de marcher jusqu’aux écoles aux alentours. Avant son ouverture, je me suis entretenu avec des personnes de ma communauté, puis j’ai parlé avec mes amis, et finalement nous avons rencontré Khadka Sing Gurung, un ancien de l’armée de Gurkha, il était président de quartier à cette époque. Après en avoir discuté, il a été d’accord pour donner le terrain pour construire l’école et nous avons présenté notre projet dans chaque village pour lever des fonds, puisque nous avions besoin d’argent au début pour le bâtiment.

Pendant le Festival des Lumières [Tihar Festival], nous avons montré notre programme dans plusieurs villages aux alentours, après cela nous avons collecté de l’argent, ce qui nous a permis d’ouvrir une école primaire dans mon village [Simjung]. L’école se nomme Annapurna Primary school [école primaire Annapurna]. J’y ai travaillé comme bénévole durant un an. À cette période ma mère était très malade, elle souffrait et saignait de l’utérus, nous n’avions que la médecine traditionnelle comme recours, ainsi que les chamans, parce qu’il n’y avait pas d’hôpitaux. Nous devions aller à Appipal Gorkha où il y avait un hôpital et à l’hôpital de Gorkha, nous devions marcher 9/10 heures. Sinon nous devions aller soit à Kathmandou, soit à Pokhara pour les soins. Une fois mon père l’a emmené à l’hôpital de Appipal Gorkha, après cela elle s’est sentie mieux, mais après elle est décédée à 45 ans.

Après cela, je suis allé à Kathmandou pour continuer d’étudier tout en cherchant quelques emplois mais c’était difficile de trouver un emploi. J’habitais avec mes amis, nous étions six dans une petite chambre et le propriétaire de la maison n’était pas content car nous étions trop nombreux. Tous les jours j’avais l’habitude de marcher dans la vallée de Kathmandou pour trouver des emplois et finalement j’ai trouvé un emploi pour charger et décharger de la laine dans une fabrique de tapis. Je devais travailler 10 heures et ils me payaient 1500 rupees [environ 11,7euros] par mois. Après un mois, j’ai été admis sur le campus Ratna Rajyalaxmi [Tribhuvan University, Kathmandou]. J’avais l’habitude de travailler de 8h a 17h, puis j’étudiais dans la soirée. J’ai essayé de trouver d’autres emplois et un de mes amis, Guna Kanta Dawadi, m’a trouvé un emploi dans un magasin de pullover à Thamel [ un quartier de Kathmandou].

Cela m’a donné l’opportunité de parler anglais avec les clients et à cette période j’ai rencontré quelques touristes français, notamment Noël Bonnevie et Catherine Audiger en 1992. Ils m’ont encouragé à apprendre le français, donc j’ai rejoint un centre de culture français en 1994 et j’ai commencé à apprendre la langue. Ce sont eux qui m’ont montré les trails dans la montagne, je les respecterai toute ma vie pour cela. Ils m’ont invité trois fois en France en 1995, 1996 et 2002. En 1997, j’ai trouvé un emploi dans le Village Resort Shangri-La à Pokhara comme garçon d’étage pour porter les bagages des clients et parfois je partais en trek comme porteur. Il y avait beaucoup de touristes français qui venaient et lorsque je parlais un peu français, ils étaient vraiment contents.

Durant cette période, en 1991, je me suis marié. J’ai eu trois enfants, deux fils et une fille. Manisa a 26 ans aujourd’hui, Manoj 24 ans et Sabin 22 ans. J’ai deux petits-enfants, Precious et Rima. Le mariage entraîne beaucoup de responsabilités familiales, au niveau du travail et des études.

Entre le 13 février 1996 et le 21 novembre 2006, il y a eu la guerre civile au Népal, aussi connue comme le conflit maoïste, c’était une lutte entre le parti communiste maoïste et le gouvernement du Népal. C’était une période difficile, il y avait des kidnapping et environ 17 000 personnes furent tuées notamment des civils, des insurgés, des membres de l’armée et de la police. Des centaines de milliers de personnes furent déplacées vers le milieu rural. Les touristes sont moins venus pour des raisons de sécurité et c’était difficile aussi pour moi de survivre. Donc je suis parti en Arabie Saoudite pour travailler quelques années. Après 2006, je suis revenu au Népal et j’ai repris mon emploi dans le milieu du trekking, jusqu’à aujourd’hui.

 

2. Quand et pourquoi as-tu décidé de devenir guide de trek ?

J’ai décidé de devenir guide de trek en 1995, mais en raison d’évènements dans ma vie, je n’ai pas pu obtenir ma licence de guide. C’est lorsque je suis revenu d’Arabie Saoudite que j’ai obtenu ma licence de guide, en 2007. J’ai décidé de devenir guide car j’aime l’aventure, la nature, et aussi le fait de travailler dur. En trek je rencontre différents paysages et des personnes de culture différente avec lesquelles je peux partager des choses, et cela me rend plus sain, me permet de rester jeune et bien plus encore.

 

3. Quand et pourquoi as-tu choisi de t’impliquer dans des actions humanitaires ? Et pourquoi avec Thierry dans l’Association Manoj ?

Là où je suis né il n’y avait pas de structures de santé, de bonne école, de routes, d’électricité, donc je connaissais très bien ces problèmes et j’ai souvent pensé à m’engager dans des actions humanitaires dans le milieu rural, surtout lorsque ma mère est morte à cause de saignements. Depuis ce temps, j’ai toujours réfléchi à comment sauver la vie des autres mères, comment les aider ? Cela a touché mon cœur et par la suite j’ai rencontré Thierry au Népal, il avait les mêmes objectifs. Après notre rencontre en 2008, nous avons fait un trek médical jusqu’à mon village et nous avons été à l’école primaire Shree Kalika de Simung pour distribuer des brosses à dent et du dentifrice. Nous avons aussi rencontré Manoj [un petit garçon souffrant de problèmes cardiaques] et nous avons demandé à ses parents de l’emmener à Kathmandou. J’ai donné mon sang pour son opération, ainsi que quatre de mes amis. Selon le docteur qui l’a opéré à l’hôpital, l’opération a été un succès, mais il est mort deux jours après à l’hôpital. Après les funérailles, ils sont revenus au village et quelques personnes ont dit de me mettre en prison parce qu’elles pensaient que Manoj était mort à cause de moi. Je n’ai jamais oublié cette situation inconcevable ! Thierry était en France lorsque je l’ai appelé, il était en train de célébrer son anniversaire mais lorsque je lui ai annoncé la triste nouvelle au téléphone, il s’est senti tellement triste qu’il s’est mis à pleurer. Depuis ce jour, Thierry a décidé de créer l’Association Manoj pour aider les secteurs de la santé et l’éducation au Népal.

 

4. Peux-tu nous parler de ton travail dans l’Association Manoj ?

Depuis que je travaille avec l’Association Manoj, en tant que co-coordinateur, j’essaye d’aller dans les zones reculées, d’aller dans les structures de santé, les écoles, les villages, avec des touristes français qui viennent via l’Association Manoj et Thierry. Nous visitons les villages et nous recensons les besoins des personnes pauvres et malades. Nous coopérons avec les locaux, mais aussi avec le gouvernement local pour résoudre les problèmes, réaliser des programmes de trek médicaux, organiser différents camps de santé en accord avec les souhaits des locaux. Je liste les patients pendant les treks médicaux, puis je les suis, je les accompagne à l’hôpital lorsque c’est nécessaire. S’il y a une catastrophe naturelle, nous coopérons avec le département du gouvernement concerné, nous leur proposons notre aide. Enfin, je fais le lien avec l’administration pour obtenir les autorisations nécessaires pour réaliser nos actions.

 

5. Peux-tu nous parler de l’évolution des activités de l’Association Manoj depuis sa création ?

Depuis sa création, l’Association Manoj a fait un super travail dans le secteur de la santé et de l’éducation, plus spécialement dans les régions de Gorkha, du Ramechhap et de Lamjung, et aujourd’hui dans d’autres régions. C’est une petite association qui fait beaucoup d’actions malgré sa taille. L’association a fourni des ambulances aux dispensaires de Simjung et Bachchek, elle a établi un laboratoire dans le dispensaire de Simjung. Elle a aussi distribué de nombreux équipements de santé pour plusieurs dispensaires situés dans des villages reculés. En 2015, Manoj a fourni des bâches plastiques et des taules pour 700 maisons, mais aussi de la nourriture, sans compter toutes les personnes qui ont pu être traitées pour différentes maladies. Les habitants du district de Gorkha connaissent donc bien l’Association Manoj.

 

6. Peux-tu nous parler de la création de Mutu Foundation et ses liens avec l’Association Manoj ?

Mutu Foundation est une ONG locale qui vient tout juste d’être enregistrée au Népal auprès de plusieurs organismes gouvernementaux. Mutu signifie « cœur ». Sans cœur, notre corps ne pourrait pas fonctionner. Toutes les bonnes et mauvaises choses viennent de notre cœur. Il y a deux cœurs maintenant : un français et un népalais. Ce double cœur est bon et immense pour aider et secourir. Manoj [l’enfant opéré] souffrait de problèmes cardiaques, [d’où également la référence au cœur] donc nous l’avons emmené à l’hôpital, mais la priorité est la sensibilisation, faire prendre conscience aux personnes de l’importance de se soigner. L’Association Manoj et Mutu Foundation sont deux ONG, elles travaillent ensemble dans le respect des lois du Népal et poursuivent les mêmes objectifs.

(Questions et réponses écrites en anglais. Traduction anglais/français par Claire Bouillot et Sandy Salado).

 

Un entretien qui force le respect…